Le Serviteur de Yahvé

Vendredi Saint de l'année C

Ce passage extraordinaire du chapitre 53 d’Isaïe est probablement celui que Jésus a expliqué aux deux disciples d’Emmaüs… ces deux disciples qui rentraient chez eux dans la tristesse.
Ils avaient cru en Jésus… mais après avoir été témoins de l’humiliation extrême de la crucifixion… ils avaient perdu la foi.

Ils avaient fait partie de la foule des premiers disciples… ils avaient rencontré Jésus… ils ne faisaient pas partie du groupe des intimes qui l’accompagnait constamment… mais ils avaient cru en lui.
On sait que Jésus ne répondait pas à l’image que les Juifs se faisaient du Messie… mais le coeur de ces deux hommes devait être bien disposé… et on peut penser qu’ils avaient découvert dans la parole de Jésus et dans son comportement, des trésors d’amour et de vérité… qui avaient fini par les entraîner à sa suite.

Il est probable qu’ils étaient également dans la foule qui avait acclamé Jésus comme Messie et “fils de David” quelques jours auparavant.
Ils avaient donc accepté de remettre en question leur idée d’un Messie politique, prenant le pouvoir… ils avaient découvert, peu à peu, que Jésus n’était pas venu apporter au monde le genre de victoire dont rêvent les hommes… mais une victoire sur le péché et la mort.

Ils avaient fait un certain parcours spirituel… mais en voyant Jésus anéanti par la torture et mort sur la croix, leur foi naissante avait vacillé.
Il n’imaginaient pas qu’on puisse être le Sauveur du monde… avec une existence qui se termine sur un échec pareil.
Et Jésus, qui les rencontre sur le chemin d’Emmaüs, avant de se faire reconnaître… les invite à méditer sur la destinée de ce personnage que le prophète Isaïe appelle le “Serviteur de Yahvé”.

Qui était ce personnage ?
Il ne semble pas que ce soit un individu… trois fois sur quatre, quand Isaïe parle de ce “Serviteur”, il fait dire à Dieu : “Israël mon Serviteur”.
Ce serviteur représente le Peuple d’Israël… “Israël mon Serviteur”… la formule revient comme un refrain dans ces chapitres d’Isaïe.
Ces chapitres ont été écrit pendant la déportation des Juifs à Babylone… et parmi ces déportés, il y avait un groupe profondément fidèle et religieux que les prophètes appellent souvent le “reste d’Israël.”
Et il semble que le “Serviteur de Yahvé” désigne précisément ce petit “reste” du Peuple d’Israël … fidèle à la Loi de Dieu.

Ce qui veut dire que, dans ce passage, le Peuple d’Israël est personnifié : on en parle comme si c’était un homme… c’est un langage allégorique qui est assez habituel dans la Bible.
Par ex. dans le livre de Daniel : le “fils de l’homme” qui apparaît sur les nuées du ciel représente, lui aussi, le Peuple d’Israël persécuté et glorifié.

Pour comprendre ce texte d’Isaïe, il faut se représenter la situation !
A Babylone, les déportés se posent des questions.
Jérusalem est détruite et abandonnée… les survivants sont dans un pays étranger, loin de la Terre Sainte… ils n’ont plus de Temple, plus de sacrifices, plus de roi ! Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive… ils se demandent ce que fait Dieu… ce n’est pas la peine d’être le Peuple de Dieu pour être traité de cette façon !
Ils ne comprennent pas comment le Dieu tout puissant a pu les abandonner à la souffrance, à l’humiliation et à l’exil.
Déportés à Babylone, ils se sentent oubliés de Dieu.

Et le prophète, qui est avec eux en exil, leur donne ce message étonnant : que leurs souffrances ne sont pas un châtiment… mais qu’elles vont sauver le monde (en hébreu on disait : “les multitudes”).
“A cause de ses souffrances… le juste, mon serviteur, sauvera les multitudes, il se chargera de leurs péchés.”

Et les deux disciples d’Emmaüs… en méditant ces paroles commencent à comprendre que le Juste par excellence… le Serviteur par excellence, ce n’est pas tant le Peuple d’Israël, que Jésus en personne !
Le Serviteur qui porte les péchés du monde… bien davantage que le Peuple d’Israël… c’est lui, Jésus, qu’ils ont vu mourir sur la croix.
Si un prophète du VIe siècle avant Jésus avait compris qu’Israël devait se sacrifier pour le salut du monde… les deux disciples découvrent qu’ils sont inexcusables de ne pas comprendre le sens du sacrifice de Jésus.

Vous vous demanderez peut-être comment un prophète de l’Ancien Testament avait pu avoir l’idée que le Peuple de Dieu devait se sacrifier pour le salut des pécheurs… pour le salut des nations païennes… et pourtant, c’est bien le sens de ce chapitre d’Isaïe.
Vous vous demanderez peut-être également si ce message a été entendu par le peuple Juif… et s’il fait toujours partie de sa spiritualité ?

Je vous lirai simplement un écrit trouvé sur un Juif mort à Auschwitz.
Il n’avait pas grand-chose sur lui quand on a retrouvé son corps… mais il y avait un papier avec cette prière :

«Seigneur, quand tu viendras dans ta gloire, ne te souviens pas seulement des hommes de bonne volonté.
Souviens-toi aussi des hommes de mauvaise volonté.
Mais ne te souviens pas de leurs sévices, de leurs violences, de leurs cruautés… (et là, il savait de quoi il parlait)
Souviens toi des fruits que nous avons portés à cause de ce qu’ils ont fait.
Souviens toi de la patience des uns, du courage des autres, de la camaraderie, de l’humanité, de la grandeur d’âme, de la fidélité qu’ils ont réveillées en nous.
Et fais, Seigneur, que les fruits que nous avons portés soient un jour leur rédemption.»

Retour aux archives