Vous avez pu remarquer que Saint Jean ne parle pas de l’Eucharistie dans son récit des événements du Jeudi Saint… il en parle ailleurs… son Évangile fait bien des allusions à l’Eucharistie… en particulier au chapitre 6… dans son discours du pain de vie.
Par contre, Jean nous transmet ce récit du lavement des pieds… un événement qui avait frappé son esprit et celui des disciples.
Dans le monde romain, au début d’un repas, il arrivait qu’on fasse laver, par un esclave, les pieds des convives qui avaient marché dans la poussière… avant de s’allonger pour le repas sur des divans ou des tapis.
Mais en Israël, c’est un travail qu’on ne devait pas exiger d’un serviteur.
On peut donc imaginer le saisissement des Apôtres quand Jésus, ce soir là, entreprend de leur laver les pieds.
C’est un geste qui parle mieux que tous les discours.
Il y a dans les derniers chapitres de l’Evangile une suite d’événements dont la richesse de signification est immense.
Tout le reste de l’Evangile est rempli de paroles et d’enseignements de Jésus… par contre, dans les dernières pages, il y a peu de paroles… il y a une série d’événements qui constituent le cœur de la Révélation… des événements si essentiels qu’on les retrouve dans le “Credo”.
Des événements qui sont la révélation du projet de Dieu.
La Résurrection du Christ nous révèle ce qu’est notre destinée… ce que doit être notre condition éternelle… un prolongement de notre condition humaine… et, en même temps, une vie radicalement nouvelle… à l’image du Christ ressuscité.
Le long récit de la Passion contient, mieux qu’un discours, la révélation de l’amour de Dieu et de son pardon.
Il nous fait comprendre la gravité du péché qui nous sépare de Dieu … Si le péché était sans importance, Jésus n’aurait pas donné sa vie pour nos péchés.
Et en même temps, ce récit nous montre l’immense tendresse du Fils de Dieu qui se met à genoux devant les hommes pour les supplier de se laisser réconcilier… et c’est bien ce que fait Jésus ce soir là : il se met à genoux devant ses disciples.
S’étant fait homme, le Fils unique de Dieu a donné tout ce qu’un homme pouvait donner… Pour toucher notre cœur, il a sacrifié tout ce qu’un homme pouvait sacrifier.
Le Fils de Dieu a vraiment partagé notre condition humaine… la seule chose qu’il n’a pas partagée, c’est notre péché… parce qu’il est Dieu… et parce qu’il vient nous guérir du péché.
Mais il a partagé les faiblesses, les souffrances et les angoisses de notre condition humaine… et ses souffrances ont, sans doute, été d’autant plus intenses qu’il était sans péché.
Et s’il est allé jusqu’à donner sa vie, c’est parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie.
Dimanche, on a commencé la lecture de la passion par le récit de l’institution de l’Eucharistie.
Le Jeudi Saint fait partie de la passion du Christ… et le lavement des pieds est le premier acte de la passion.
Cette humiliation n’est pas gratuite… elle contient un message plus fort que tous les discours… elle exprime par un geste le commandement nouveau de Jésus : «Aimez-vous comme je vous ai aimés.»
Si Jésus est totalement détaché du pouvoir et des richesses… s’il est totalement sans ambition… totalement disponible à Dieu et aux personnes… c’est parce que toute sa vie est un message… il est Parole de Dieu… en tout ce qu’il dit… et en chacun de ses actes.
L’amour qu’il montre à ses disciples ce soir-là… et qu’il leur demande d’imiter… est un amour qui consiste à se faire serviteur.
Jésus leur avait dit : «Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude.»
C’est le genre de parole qu’ils ne voulaient pas entendre.
Mais, en voyant Jésus à leurs pieds, ils comprennent, en ce Jeudi soir, qu’ils ne pourront pas être ses disciples s’ils ne deviennent pas, eux aussi, serviteurs de leurs frères.
Les Apôtres qui iront proclamer l’Evangile, dans les premiers temps de l’Eglise, ne ressembleront plus à ce qu’ils étaient dans l’Evangile.
Pendant trois ans ils ont espéré un triomphe messianique qu’ils voyaient comme une victoire politique et une prise du pouvoir… et ils rêvaient de partager ce pouvoir.
Par la suite… ils oublieront leur désir de pouvoir… et en même temps, ils perdront toute crainte des pouvoirs terrestres… eux qui avaient peur des Juifs et n’osaient pas sortir… ils n’hésiteront plus à annoncer l’Evangile au risque de leur vie.
A partir de ce moment, ils ont aimé comme Jésus aimait : d’un amour qui consiste à servir à et donner sa vie.
Ce n’est pas sans raison que Jésus fait ce geste avant d’instituer l’Eucharistie.
Jésus donne l’Eucharistie à des Apôtres qui sont encore sous le choc du lavement des pieds… sous le choc de cet abaissement de leur Maître.
Et c’est à ce moment qu’il leur dit : «Ceci est mon corps livré pour vous.»
L’Eucharistie, ce n’est pas n’importe quelle présence réelle… c’est le Corps et la présence de celui livre sa vie… qui se donne en sacrifice : c’est la présence de celui qui était venu servir et donner sa vie.
Dans les sacrifices de l’Ancienne Testament, il y avait généralement un repas de communion où l’on partageait la victime offerte à Dieu.
Cette victime appartenait à Dieu… et ceux qui la partageaient avaient le sentiment d’être les invités de Dieu.
On appelait cela «la communion au sacrifice».
Dans l’unique sacrifice de la Nouvelle Alliance, c’est le Fils de Dieu en personne qui est la victime offerte… et l’Eucharistie est notre communion au sacrifice de Jésus.
Nous ne sommes pas seulement les invités de Dieu… mais ce qu’il nous donne en nourriture, c’est son Fils, livré pour nous.
Les Apôtres qui parlent le langage de l’Ancien Testament peuvent comprendre ce message… c’est pourquoi Jésus leur dit : «Ceci est mon corps livré pour vous… Ceci est mon sang versé pour vous.»
Et Saint Paul ajoute : «Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur.»
Dans chaque l’Eucharistie… jusqu’à la fin des temps… le Sacrifice de Jésus est rendu présent… et chacune de nos communions est une communion à son Sacrifice.
Et celui qui nous donne son corps… qui nous fait partager sa condition de Fils de Dieu est aussi celui qui s’est fait serviteur… jusqu’à donner sa vie.
Et cela doit nous poser des questions sur notre façon de communier.
Celui qui communie au Sacrifice du Christ… sans devenir lui-même serviteur… Celui qui reçoit le Corps livré pour nous du Fils de Dieu… sans être capable d’aimer, et de donner quelque chose de lui même et de sa vie… n’a pas compris l’essentiel.
On pourrait traduire le message de cet Évangile en disant que celui qui refuse de se faire exploiter… celui qui refuse qu’on profite de lui… n’est pas vraiment capable d’aimer :
«Si moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.»
Publié le 2013-02-16