Il y a dans cet Évangile deux paraboles… et donc, en fait, deux messages … d’une part, aimer les dernières places… d’autre part : aimer ceux qui sont aux dernières places.
Le premier texte est une parole de circonstance… Jésus est invité à un repas… il remarque des gens qui choisissent les premières places.
Au premier degré le message n’a rien de très religieux… c’est plutôt un conseil de prudence (ce qu’on appelait la “sagesse”) :
Jésus leur dit : “Attention, n’allez pas trop vite à prendre les premières places… supposez qu’un invité important arrive après vous et que vous soyez rétrogradés… vous risquez d’être ridicules en public !”
Ce qu’on appellerait aujourd’hui : prendre une claque devant tout le monde !
La première lecture est un texte de Sirac le sage… un sage, entre autres choses, c’est quelqu’un qui a pris, dans sa vie, un certain nombre de claques… et qui commence à être prudent… et dans le cas présent : qui ne se précipite pas sur les premières places !
Jésus remarque que les invités, ce jour là, manquent de cette sagesse élémentaire… et il prévoit (je suppose, sans méchanceté) le moment où l’un ou l’autre va se faire remettre à sa place.
Ce qu’on appelait la “Sagesse” dans le monde ancien… déjà en Egypte, et, par la suite, en Israël… c’était tout à fait cela… c’était toutes les recettes et astuces pour réussir dans la vie.
Il est évident que le message de Jésus ne s’arrête pas là… puisque c’est ce genre de sages ou de malins que Jésus, ailleurs dans l’Evangile, appelle des “fils de ténèbres”.
Vous connaissez l’histoire de l’intendant malhonnête qui a été renvoyé, et qui profite de son temps de préavis pour corrompre les clients de son maître… il les achète en leur faisant des fausses factures !
C’est une parabole qui nous surprend… d’autant plus que maître est plein d’admiration pour l’astuce de son intendant !
Mais remarquez bien que Jésus ne dit pas qu’il a raison d’utiliser son astuce pour faire le mal… il le qualifie de “fils de ténèbres”… en fait, il regrette que les “fils de lumière” ne soient pas aussi astucieux et inventifs quand il s’agit de faire le bien.
Si on leur demande de prendre un peu de temps pour prier… ou prendre un groupe d’enfants pour le catéchisme… ils disent qu’ils n’ont pas le temps… qu’ils ne savent pas faire… ils n’ont pas envie d’essayer !
Ce que Jésus regrette, dans cette parabole, c’est que des hommes et des femmes, qui sont si performants au plan professionnel, soient si peu efficaces quand il s’agit de progresser dans la sainteté… et de témoigner de leur foi dans leur entourage.
Si les “fils de ténèbres” sont assez malins pour prendre une dernière place en se disant que le maître de maison va peut-être le remarquer et venir les chercher pour leur donner une place d’honneur… ce qui suppose une certaine prévoyance… une certaine capacité de renoncer à une satisfaction immédiate en vue d’un bonheur plus grand… alors, Jésus se demande comment les “fils de lumière” peuvent être aussi superficiels… avoir un comportement qui tienne aussi peu compte de leur destinée éternelle ?
Comment se fait-il qu’ils soient si peu capables de sacrifier un peu de leur temps, de leurs loisirs, de leur petit orgueil… pour se comporter selon leur idéal… qui est un idéal d’amour, de service, de patience, de disponibilité… et de témoignage de leur foi.
Vous avez remarqué la conclusion de cet Evangile : “Cela te sera rendu à la résurrection des justes.”
Jésus ne s’intéresse pas aux règles de prudence qui peuvent nous éviter d’être ridicules en public… sa perspective est celle de la vie éternelle… et la sagesse qu’il nous conseille ne se limite pas à une soirée en ville… Elle porte sur tout temps de notre existence ou de notre destinée terrestre.
Celui qui s’élève… qui veut à tout prix les premières places… maintenant, sera abaissé… dans la vie éternelle !
Celui qui est prêt à piétiner les autres parce qu’il veut réussir à n’importe quel prix… aura tout raté !… Celui qui veut se mettre en avant… se retrouvera en arrière !
Vous me direz : “Si nous sommes, ce matin, dans cette Eglise, c’est que nous sommes en désaccord avec de tels comportements !”
C’est vrai… mais on vit dans un monde où ces pratiques sont relativement fréquentes… et plus on monte dans la hiérarchie sociale plus on risque d’être confronté à ce genre d’attitude.
“Celui qui s’abaisse sera élevé.”
Il ne s’agit pas de s’abaisser pour s’abaisser !
Dieu ne prend pas plaisir à nous voir humiliés !
Il s’agit de se faire serviteur… ce qui suppose qu’on sache avaler toutes sortes de couleuvres… et de les avaler avec le sourire !
Il s’agit d’être prêts à faire tout ce qu’exige le service de l’Évangile et le service de ces frères et soeurs que nous voulons conduire vers le Christ.
Celui qui s’abaisse sera élevé.
Ce n’est pas une exigence arbitraire de Dieu.
Il nous dit simplement les exigences de l’amour.
Aimer c’est vouloir du bien… faire du bien… se donner… donner sa vie.
Si on a choisi le pouvoir… si toute notre vie est organisée pour nous faire servir… ce sera difficile d’aimer véritablement !
Plus on sera proche de la dernière place, plus ce sera facile… plus on aura de chances d’avoir une vie qui soit une réussite au regard de Dieu… parce que ce sera une réussite dans le domaine de l’amour et du don de soi.
Faut-il en conclure que si nous sommes dans une situation sociale importante… tout est perdu !
Sirac le Sage ne dit pas cela… il dit : “Plus tu es grand, plus il faut t’abaisser, et tu trouveras grâce devant Dieu.”
Tout n’est pas perdu… mais les choses sont plus difficiles !
Jésus précise bien la raison de cet abaissement : c’est le service :
“Celui parmi vous qui détient le pouvoir, qu’il soit comme celui qui sert.” (Luc 22,26)… c’est une parole du Jeudi Saint.
Plus on détient de pouvoir, plus il est urgent de comprendre qu’il nous est donné pour servir… c’est ce qui donne sens au pouvoir.
Saint Paul disait aux Galates : “Mettez-vous, par amour, au service les uns des autres.” (Gal.5,13)
Et même si nous ne sommes pas très grands… on a toujours des occasions de se sentir plus grand que tel ou tel… et de le rabaisser… de le tenir à distance… de profiter d’une situation de supériorité, même passagère… de le blesser par une certaine arrogance.
Ce que l’Evangile nous demande, c’est de ne pas profiter d’une situation qui nous donne un avantage… de garder le désir de servir… et s’il nous arrive d’être dans une situation avantageuse… d’en profiter pour mieux servir.
Publié le 2012-11-21