Les récits du Déluge… ou la patience de Dieu

Frères et sœurs, on a vu que les récits de la création, écrits après Isaïe (8e siècle), héritent de son monothéisme absolu : Yahvé seul est Dieu, et tout ce qui n’est pas Dieu est créé par lui. Chacun des auteurs du livre de la Genèse fait une énumération de tous les éléments de l’univers, tels qu’on les imaginait en Israël au 7e siècle (chap. 2) ou à Babylone au 6e siècle (chap. 1), en précisant, pour chacune de ces réalités, qu’elle est voulue et créée par Dieu.
Mais après ces deux chapitres, la grande surprise du ch. 3, c’est qu’il y a, dans l’univers, quelque chose que Dieu n’a pas créé : le péché !
Il est vrai que le mal n’est pas une chose : une réalité qui existerait en elle-même… c’est un “état d’âme”, ou un état de notre esprit, qui, en se détournant de ce qui est bien et naturel, se détourne de Dieu.
On peut dire la même chose de l’Enfer, dont Jésus parlera dans l’Évangile (sous le nom de “Géhenne”) : ce n’est pas une réalité créée par Dieu en vue d’y mettre des gens… c’est un refus du pardon, un endurcissement dans le mal, et donc une rupture avec Dieu… lui aussi est un “état d’âme”, dont Jésus précise qu’il est définitif.
Dieu n’est créateur ni du péché, ni de l’Enfer… l’un et l’autre sont des “créations” de l’homme et de sa liberté.
Dieu ne refuse jamais son pardon. Quel que soit le péché des hommes, il n’a d’autre désir que de pardonner… mais il les a faits libres, et il ne fait jamais violence à leur liberté, même s’ils se ferment à son pardon.
Les récits du déluge (Gen. 6 à 9)
Il y avait au départ, dans la tradition d’Israël, deux récits de déluge assez différents, qui ont été mélangés au 5e siècle avant JC, mais en respectant les documents primitifs, de sorte qu’on peut reconstituer les deux textes. Comme pour les deux récits de la création, les différences sur la durée du déluge (40 jours ou 150 jours) sur le nombre des animaux (2 ou 7 de chaque espèce) ou sur le signe de l’Alliance (un sacrifice ou un arc en ciel) interdisent de prendre à la lettre cette histoire.
Ces deux récits bibliques s’inspiraient d’un récit mésopotamien beaucoup plus ancien qu’on trouve dans l’ “Épopée de Gilgamesh” : l’histoire du roi Outa-Napishtim (le “très sage”) qui échappa au déluge avec la complicité du dieu Ea. Il fit une arche où il embarqua sa famille, ses serviteurs et un couple de tous les animaux.
Les autres dieux, qui voulaient détruire l’humanité, sont furieux contre Ea qui a trahi leur secret… mais finalement, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas se passer des hommes… et quand Outa-Napishtim leur offre un sacrifice, après le déluge, ils sont affamés et ils tournent comme des mouches, dans la fumée du sacrifice !
Ce mythe est probablement le souvenir d’une grande inondation, qui, vers l’an 3000, submergea toute la Mésopotamie et fit disparaître villes et villages sous plusieurs mètres de boue. Pour les survivants, réfugiés sur les hauteurs désertiques, le monde civilisé avait disparu.
L’auteur biblique reprend cette histoire en la modifiant profondément :
La raison du déluge est la violence et le péché des hommes… mais Yahvé ne veut pas détruire tous les hommes… dès le départ, il veut sauver Noé et sa famille, espérant repartir sur de bonnes bases.
Finalement, Dieu doit admettre que le péché sera inévitable… mais, malgré tout, il promet de ne plus faire d’autre déluge : «Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, même si les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance.» (Gen. 8,21)
Ni les auteurs (du 7e et du 6e siècles), ni le rédacteur final (du 5e siècle), ne sont des naïfs. Ils savent, comme tous leurs lecteurs de cette époque, que l’histoire du déluge est un mythe babylonien… et ils supposent que personne ne prendra à la lettre l’inondation du monde entier, ou le fait que Yahvé ayant d’abord voulu et provoqué cette inondation, ait finalement changé d’avis et promis de ne plus recommencer !
Tout le monde comprend que, s’il avait voulu faire disparaître le péché, Dieu aurait dû faire un déluge !
La morale de l’histoire, c’est que les hommes mériteraient un déluge.
Pour dire cela d’une façon vivante et imagée il suffisait de reprendre l’histoire d’Outa-Napishtim et du dieu Ea.
La littérature de l’époque était limitée, et il était tentant de remanier le vieux conte mésopotamien.
Les auteurs bibliques sont conscients du scandale que représente le péché des hommes… mais loin d’accuser Dieu, ils nous révèlent sa patience sans limite et son désir de laisser à chacun une chance de se convertir.
Aux docteurs de la Loi qui avaient un peu oublié ce message, Jésus dira également qu’il n’est pas venu appeler des gens parfaits, mais des pécheurs. (Mt 9,13)
Que le Seigneur vous bénisse, lui qui aime faire miséricorde.
JCP
A l’occasion de ces petits commentaires de la Bible, vous êtes évidemment invités à relire les textes concernés : les trois premiers chapitres du livre de la Genèse pour les enseignements du mois de Novembre (N° 84 à 87) et les chapitres 6 à 9 pour l’histoire du déluge. Si vous avez la curiosité de comparer les deux récits primitifs, le texte_joint vous y aidera.

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