Dans l’antiquité romaine, ce qu’on appelait un rédempteur, c’est quelqu’un qui payait la rançon d’un esclave pour le libérer. Il ne l’achetait pas pour en faire son esclave : il payait le prix, pour que l’esclave devienne un homme libre. Il va de soi qu’il ne donnait pas sa vie en échange de celle de l’esclave. On imagine pourtant la reconnaissance que pouvait avoir l’esclave libéré.
Dans l’histoire récente, un homme a fait cela : il a donné sa vie pour racheter un condamné. C’était le dernier jour de juillet 1941 : les sirènes d’Auschwitz sonnaient pour annoncer la fuite d’un prisonnier. En guise de représailles, dix autres prisonniers devaient être emmurés vivants dans un bunker de béton, pour y mourir de faim. Tous les prisonniers ont été alignés dans la cour, et ils ont attendu pendant une journée entière, sous un soleil brûlant, sans manger ni boire. Finalement, le commandant allemand et son assistant de la Gestapo sont passés entre les rangs pour désigner au hasard les dix condamnés. L’un d’entre eux s’appelait Francis Gajowniczek ; quand on l’a désigné, il a crié : "Ma femme … mes enfants !" À ce moment, un homme a enlevé son bonnet et il est sorti des rangs, il portait des lunettes rondes à monture de fer : c’était le Père Maximilien Kolbe. Le commandant a demandé : "Que veut ce cochon de Polonais ?" Il a dit : "Je suis prêtre catholique. Je veux mourir à la place de cet homme. Je suis vieux. Lui a une femme et des enfants, moi je n’ai personne". "D’accord", a répondu le commandant, et il a continué sa sélection.
Le Père Kolbe avait 47 ans, il était religieux franciscain, il jouissait d’un prestige considérable pour ses réalisations multiples en Pologne et au Japon : il avait créé la "cité de l’Immaculée", une fondation qui regroupait 800 religieux, avec une maison d’édition et une station de radio. Il avait été arrêté par la Gestapo cinq mois plus tôt : il avait donné refuge à des Juifs.
Les dix hommes ont été conduits dans le "bunker de la faim". Habituellement, ils s’entre-déchiraient et mouraient en quelques jours. Mais, cette fois, ce fut différent. Nus et étendus sur le sol, ils ont prié tant qu’ils en ont eu la force, et chanté des cantiques. Quinze jours après, trois de ces hommes et le Père Maximilien étaient encore en vie. Comme on avait besoin du bunker pour d’autres condamnés, le 14 août, on les a liquidés tous les quatre. Le Père Kolbe, encore conscient, a été achevé avec une injection de phénol. Le lendemain, 15 août, fête de l’Assomption, son corps a été brûlé dans un four crématoire.
En 1982, quand Jean Paul II a canonisé le Père Kolbe, Francis Gajowniczek était à Rome avec ses enfants et ses petits enfants : pour lui, en tout cas, le mot "rédemption" avait du sens.
Jésus, lui aussi, a "donné sa vie en rançon" (Marc 10,45). Saint Jean écrit : "Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle." (Jn 3,16).
On peut cependant se demander pourquoi Jésus a choisi de nous sauver en donnant sa vie. Il était le Fils de Dieu : il est certain qu’il aurait pu nous sauver autrement.
Il faut comprendre qu’il nous donne une révélation, non pas seulement en paroles, mais par toute sa vie. Son comportement est la révélation de la tendresse de Dieu pour les hommes. Pour nous révéler le mystère de notre résurrection, il ne s’est pas contenté d’en parler : il est ressuscité.
Tout ce qu’il a fait a du sens : s’il a voulu donner sa vie, c’est pour nous révéler, d’une part, la gravité du péché qui nous sépare de Dieu, et en même temps, l’immense tendresse de Dieu qui nous pardonne et nous supplie d’accepter son pardon.
On peut dire qu’en donnant sa vie, le Fils de Dieu se met à genoux devant les hommes pour les supplier de se laisser réconcilier. Paul écrit aux Corinthiens : "C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu." (II Cor. 5,20)
Si le Père nous a donné son Fils, c’est par amour : parce que le péché nous détruit et nous coupe de lui. Dieu n’a qu’un désir : nous tendre la main pour nous pardonner et faire de nous un peuple de fils.
Et Jésus est prêt à donner sa vie pour cela : il est prêt à faire tout ce qu’un homme peut faire pour nous sauver de nous-mêmes et nous dire à quel point il nous aime : "Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis" (Jn 15,13). Il n’y avait pas de façon plus parlante de nous révéler la tendresse de Dieu.
Publié le 2012-10-21