On entend dire parfois que les chrétiens sont appelés à "construire un monde plus juste et fraternel". C’est une formule un peu nouvelle, qu’on ne trouve pas dans l’Évangile; que faut-il en penser ?
Ce qui est vrai, c’est que nous, les disciples du Christ, il nous faut être justes et fraternels.
Mais quand on parle de "construire un monde", que veut-on dire exactement ? Que les chrétiens d’aujourd’hui seraient capables de réaliser quelque chose qu’on n’a jamais fait dans le passé ?
Quand on voit les hauts et les bas de l’histoire de l’Église de France, ou de l’Église en général, faut-il supposer que notre génération sera bien meilleure et va enfin "construire un monde plus juste et fraternel" ?
Faut-il regarder avec une certaine condescendance nos Pères dans la foi qui n’ont pas totalement réussi cette construction ?
Faut-il supposer que nous ferons beaucoup mieux que les moines du Moyen-Âge, que tous les saints de l’histoire de l’Église, que les premiers Apôtres, ou que Jésus de Nazareth ?
Il est évident qu’il nous faut, coûte que coûte, être justes et fraternels ; si nous ne le sommes pas, nous donnons un contre témoignage. Il faut, autant que possible, essayer de rendre meilleur le monde qui nous entoure. Si on a des résultats, tant mieux, et il y en a assez souvent.
Et pourtant, la valeur de notre vie chrétienne ou de notre témoignage ne se juge pas uniquement à ce genre de résultat.
Jésus est mort sur la croix, et c’est là qu’il sauvait le monde.
Il a dit : "Bienheureux, si vous êtes persécutés pour la justice" : si vous êtes mal vus et rejetés par le monde à cause de votre fidélité à l’Évangile.
Il faut tout faire pour améliorer le monde, mais il faut savoir que le résultat sera parfois le rejet et la persécution, comme pour le Christ.
Ce qu’il nous faut, et c’est une des difficultés de notre situation de chrétiens, c’est être justes et fraternels dans un monde que nous ne pourrons jamais totalement transformer ou "reconstruire".
Saint Paul écrit aux Romains : "La détresse elle-même fait notre fierté : puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance." (Rom. 5,3)
Nous sommes dans un monde pécheur et nous-mêmes nous avons bien du mal à ne pas être pécheurs, et c’est dans cette situation qu’il nous faut, autant que nous le pouvons, être de plus en plus justes et fraternels, que cela plaise ou non au monde qui nous entoure.
Jésus nous demande de tendre la joue gauche quand on nous frappe sur la joue droite ; il ne nous demande pas de construire un monde dans lequel personne ne nous frapperait sur la joue droite.
Il nous demande d’être justes et fraternels dans un monde qui n’est ni juste ni fraternel ; c’est ce qu’il a fait, et il ne nous demande pas de faire mieux que lui.
À cette formule il faut également apporter une autre réserve. Quand on a dit "justes et fraternels" on n’a pas tout dit. Pour être fraternels entre nous, il nous faut, d’abord et avant tout, être des frères du Christ et des fils de Dieu.
Notre priorité, c’est d’aimer par dessus tout Celui qui est le Créateur du monde et le Père de tous les hommes : c’est le premier commandement.
Et un tel amour est un don de l’Esprit : c’est lui qui renouvellera notre regard sur les autres et notre capacité de les aimer.
L’amour de Dieu, écrit saint Paul, a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné." (Rom. 5,5)
Ce que nous fêtons aujourd’hui, c’est notre entrée dans la vie trinitaire.
Cet amour surnaturel qu’on appelle la charité est un don de l’Esprit, de même que notre foi est un don de l’Esprit; c’est donc l’Esprit qui nous fait entrer dans la vie des personnes divines.
C’est dans la mesure où nous vivrons intensément de la filiation divine que le Christ est venu partager avec nous que nous pourrons être fraternels les uns avec les autres.
Publié le 2013-05-26