Evangelii nuntiandi - 21

79. L’œuvre de l’évangélisation suppose, dans l’évangélisateur, un amour fraternel toujours grandissant envers ceux qu’il évangélise. Ce modèle d’évangélisateur qu’est l’Apôtre Paul écrivait aux Thessaloniciens cette parole qui est un programme pour nous tous : « Nous avons été au milieu de vous pleins de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Nous avions pour vous une telle affection que nous étions prêts à vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais même notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers … Vous êtes témoins, et Dieu aussi, que nous nous sommes conduits envers vous, les croyants, de manière sainte, juste, irréprochable. Et vous le savez : traitant chacun de vous comme un père ses enfants … » (I Thess. 2,7-11)
Quelle est cette affection ? Bien plus que celle d’un pédagogue, c’est celle d’un père; et plus encore : celle d’une mère. C’est cette affection que le Seigneur attend de chaque prédicateur de l’Évangile, de chaque bâtisseur de l’Église.
Un signe d’amour sera le souci de donner la vérité et d’introduire dans l’Unité. Un signe d’amour sera également de se dévouer sans réserve ni retour à l’annonce de Jésus-Christ.

L’amour qui nous est demandé n’est pas seulement un amour de nos proches et de nos frères dans la foi, mais aussi de ceux qui sont loin de Dieu. Il nous est demandé de regarder chacun d’eux comme susceptible de devenir un frère ou une sœur dans la foi… non pas en ce sens que notre amour serait conditionné par leur conversion… ils sont nos frères et sœurs en tout état de cause… mais il nous est aussi demandé de ne considérer aucune personne comme inapte à être évangélisée.

Plus ou moins consciemment nous classons les personnes dans des cases diverses : les voisins, la famille, les commerçants, le facteur, les éboueurs, les chauffeurs de bus, les clients, les collègues de travail…
Nous devons nous demander si nous n’avons pas aussi une catégorie pour ceux auxquels il est exclu d’annoncer l’Évangile. C’est une question à se poser lors de nos rencontres de cellule… pour faire en sorte qu’il n’y ait plus personne dans cette case.
Si nous avons une case pour les personnes qui ne méritent pas notre amour, il faut en prendre conscience, et vider cette case.
C’est ce que veulent dire le pape et le synode des évêques :

Permettez-nous de faire mention de quelques autres signes de cet amour. Le premier est le respect de la situation religieuse et spirituelle des personnes qu’on évangélise. Respect de leur rythme qu’on n’a pas le droit de forcer outre mesure. Respect de leur conscience et de leurs convictions, à ne pas brusquer.

Il nous est donc demandé de commencer par les aimer telles qu’elles sont, et dans un deuxième temps, les évangéliser en tenant compte de ce qu’elles sont.

Un autre signe de cet amour est le souci de ne pas blesser l’autre, surtout s’il est faible dans sa foi, avec des affirmations qui peuvent être claires pour les initiés, mais qui pour les fidèles peuvent être source de perturbation et de scandale, comme une blessure dans l’âme.

Prenons un exemple parmi d’autres : en présence de chrétiens peu instruits qui mettent sur le même plan tous les textes de la Bible, on évitera de dire, sans plus d’explication, que tel ou tel récit n’est pas historique.
Jésus disait : « Celui qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule et qu’on le jette dans la mer. » (Mt 18,6)
Il va de soi qu’il faut avoir l’amour de la vérité, comme le rappelait le chapitre précédent, mais il faut parler avec discernement. Si une personne est susceptible de comprendre que la Bible, comme tous les écrits, comporte des genres littéraires différents, et si on peut prendre le temps de donner des explications, il faut le faire. Sinon, on se gardera de toute réflexion qui mettrait en péril la foi d’une personne fragile.

Un signe d’amour sera aussi l’effort de transmettre aux chrétiens, non pas des doutes et des incertitudes nés d’une érudition mal assimilée, mais des certitudes solides, parce que ancrées dans la Parole de Dieu. Les fidèles ont besoin de ces certitudes pour leur vie chrétienne ; ils y ont droit, en tant qu’enfants de Dieu qui, entre ses bras, s’abandonnent entièrement aux exigences de l’amour.

Le paragraphe précédent parlait de ceux qui scandalisent les faibles ; ce paragraphe parle de ceux qui scandalisent des chrétiens instruits de l’Évangile, en prenant plaisir à mettre le doute dans leur esprit.
Ils se donnent comme des maîtres dans la foi et, pour éblouir leur auditoire, ils se plaisent à tout remettre en question; mais leur érudition mal assimilée ne leur permet pas d’avoir le discernement nécessaire pour distinguer ce qui peut être remis en question et ce qui ne le peut pas.
Il n’ont pas le « sens de la foi » (sensus fidei) qui leur permettrait de mettre l’accent sur les certitudes premières de la révélation et d’affermir leurs frères. Ce n’est pas l’amour de la vérité qui les motive, ni l’amour de leurs frères dans la foi, mais le désir de se mettre en avant. Le successeur de Pierre dénonce avec raison un telle perversion qui met l’Église en danger.
Jésus disait à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas. Et toi … affermis tes frères. » (Luc 22,32)

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